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Récits et anecdotes
6 novembre 2011

Comment je suis arrivé en Angleterre via

12_RCA_Capitaine_VERBRUGGEN_copie_22  Comment je suis arrivé en Angleterre via l'Espagne et le 12ème Chasseurs d'Afrique.                                                                                     Par le Capitaine Jean VERBRUGGEN, ancien Président des anciens de la 2ème D.B. de Haute-Marne.    

                              

Comme beaucoup de jeunes de mon âge, je supportais mal toutes les contraintes que les allemands nous faisaient subir. Je parlais souvent autour de moi de mon envie de partir et d'essayer de rejoindre l'Angleterre et, un jour, un ingénieur des mines, Jean DELBENDE, me dit que si je voulais, il pouvait me donner l'adresse d'un petit café à Liévin où je pourrais me procurer de faux papiers, la filière à suivre pour passer la ligne de démarcation et tous les renseignements nécessaires pour passer en Espagne. L'Espagne étant la passage obligé pour l'Angleterre. J'ai parlé de mon projet à mon père qui l'a approuvé et prévenu ma mère. Je suis dons parti de chez moi le 21 février 1941 à midi. Je suis passé voir un camarade qui était au courant de mon projet: Je voulais lui dire au revoir car il était au dernier stade de tuberculose et je savais que je ne le reverrais pas.

Ensuite, à pied, en passant par harnes et Lens, je suis allé au petit café indiqué à Liévin: après m'être annoncé par un mot de passe convenu- je crois me souvenir qu'il fallait commander une boisson spéciale- je suis conduit dans la cuisine et longuement questionné: nom, prénom, filiation, motivations etc...Pendant qu'ils confectionnaient les papiers, j'ai dormi par terre enroulé dans une couverture: Je me souviens qu'ils étaient trois. Ont-ils été arrêtés par la suite ?... J'ai essayé de les retrouver plus tard en vain, le café n'existait même plus...

Muni des faux papiers fabriqués par ce réseau, j'ai pris le train en direction de Paris le 22 février 1941 à 6heures 30. Avant le passage en zone interdite, j'ai quitté le train, enfilé des vêtements d'employés de ce qui ne s'appelait pas encore la SNCF et, muni d'une masse à long manche, je frappais régulièrement tout le long des rails pour de soi-disant vérifications. J'ai croisé une sentinelle allemande sur un pont. On s'est salué et j'avoue que je n'en menais pas large...Ce manège a duré une quinzaine de km et je suis arrivé dans une gare où on m'a rendu mes vêtements (je suis en zone occupée). Il y avait à l'époque deux zones occupées par les allemands-Au nord d'Amiens la zone interdite-, puis une autre zone dire "occupée" qui passait par Biarritz, Loches, Moulins et Dôle.

Après m'être changé, j'ai repris le train pour Paris où j'ai couché. J'avais bien besoin de repos après cette journée très éprouvante nerveusement et physiquement. Le matin du 23, toujours en train, j'ai pris la direction de Tours où je suis arrivé le soir même à 22 heures15. Dans le train, j'avais subi deux contrôles d'identité... J'ai passé la nuit caché dans un wagon et, le lendemain matin, vers 8 heures 30, j'ai retrouvé des hommes du réseau et un camarade qui avait quitté Lens avec moi et de qui je m'étais séparé pour des raisons de sécurité. C'est d'ailleurs lui qui m'a présenté aux passeurs. Cachés dans une camionnette remplie de pommes de terre, nous avons laissé Tours en direction de Cormery où nous avons passé la journée dissimulés dans une grange...Nous avons passé la ligne de démarcation dans la nuit du 24 au 25. Il me restait en poche 200F de l'époque!!! Le passeur se faisait payer 100 F, ce qui me paraissait exorbitant et même à la limite de l'escroquerie...mais, avec le recul et comme dirait ma femme, rapport qualité-prix ce n'était pas exagéré, puisque logés, nourris et surtout la promenade nocturne avec tous les risques courus. Tout le trajet a été effectué dans les labours et, je m'en souviens encore, sous une pluie battante. Mais, c'était quand même un temps favorable pour nous car les allemands ne s'aventuraient pas dans ces terrains par ce temps. Au lever du jour, nous étions à Loches en zone libre, reçus par la garde mobile qui nous a réconfortés. Petit déjeuner, possibilités de toilette et de faire sécher nos vêtements... mais ensuite, interrogatoire serré car ils voulaient tout savoir sur la zone occupée. Une journée de repos et nous avons repris la route en direction de Châteauroux selon les directives reçues, puis Toulouse et Port Vendres. Une partie du trajet à pied et soit, tramway dans les villes, soit train de marchandises, les voitures étaient rares. Heureusement, nous étions jeunes, l'espoir de rejoindre l'Angleterre nous donnait un moral d'acier et les km à pied ne nous faisaient pas peur. Grosse déception à Port-Vendres car le passeur venait d'être arrêté par la police française. C'est sa femme qui nous a reçu et nous a donné tous les renseignements qu'il nous fallait pour passer en Espagne, mais il fallait beaucoup de chance, et Dieu merci, je n'en manquais pas !!!

Passage de la frontière dans la nuit du 6 au 7 mars. Pour nous deux, c'était vraiment une grande aventure qui commençait..jusqu'à présent, c'était relativement facile dans la mesure où nous pouvions nous expliquer, mais à l'étranger, sans parler la langue, avec uniquement les conseils qu'on nous avait donnés en France, on se sentait seuls. Les conseils s'était: 1/ s'éloigner des cotes qui étaient très surveillées. 2/ Dans la montagne, faire le moins de bruit possible. 3/ Eviter les cabanes de bergers. 4/ Prendre le temps de s'arrêter pour écouter et surveiller l'environnement. Nous avons suivi la frontière pendant une dizaine de km et découvert la cabane de berger qui nous avait été indiquée et qui se trouvait à mi-hauteur. Pour nous, gens du plat pays, il fallait grimper et, de nuit, en évitant soigneusement les sentiers, ce n'était pas facile. On s'arrêtait de temps en temps pour se désaltérer dans des ruisseaux. Enfin, nous descendons vers l'Espagne, le but étant de rejoindre Figueras où j'espérais au moins trouver une carte, parce que sans cartes et sans pesetas, c'était presque impossible. Mais, catastrophe!!! Nous promener de jour était une erreur et on se fait arrêter par un paysan qui nous avait repéré (Ils touchaient des primes quand ils faisaient des arrestations de suspects). Il nous enferme dans sa grange. Mon copain propose de lui casser la figure et de nous enfuir. Heureusement, je l'en empêche et lui propose de nous évader pendant la nuit. On entend une violente dispute dans une pièce voisine, je comprends le mot "communistes". Finalement, la femme vient nous libérer, elle parle notre langue et nous indique un sentier pour éviter d'autres surprises. Avant de partir, je la remercie et lui certifie que nous ne sommes pas des communistes.

On arrive enfin à Figueras. Il fait nuit, je conseille à mon copain de se cacher, et moi, je fonce vers la gare pour y compulser un bottin. J'y trouve une carte de réseau de chemin de fer et là, ma décision est prise: Voyager de nuit en suivant les rails. Je retrouve mon camarade et d'un commun accord, nous quittons la ville. Nous marchons encore quelques heures avant d'aller nous reposer dans les champs. Nous n'avons pas de lampe électrique et suivre les rails n'est pas simple...Il y a beaucoup de tunnels, il nous faut éviter d'être pris dans les phares des locomotives, se coucher le long des murs en se faisant tout petit, sauter sur les bas cotés, dans les fossés. Quand on arrive près d'une gare, la contourner et ensuite retrouver la bonne voie. Quand le jour arrive, il nous faut à nouveau trouver un coin pour nous cacher et aussi se reposer des fatigues de la nuit. Là, je connais vraiment la faim. Nous mangeons de l'herbe, des choux fleurs, des poireaux, des carottes crus sans les laver. Bien entendu...On se disait: encore un effort, on arrive...Barcelone, ça ne doit plus être très loin. On marchait 8 à 10 heures par jour à une cadence assez rapide et je contrôlais notre progression en cochant sur notre petite carte le nom des gares que l'on contournait car elle n'avait pas d'échelle et elle était en mauvais état. Enfin, un matin, je crois que c'était le 8 ou le 9, nous voyons "Barcelona" sur un mur à ? km, je ne me souviens plus mais plus très loin.

On s'est nettoyé un peu et on est entré dans Barcelone. Sur un tramway qui passait, on a lu "Plaza de Catalona" et on savait que le Consulat était sur cette place. Pressés et sans trop réfléchir, puisqu'on n'avait pas d'argent, on a pris le tramway suivant et on est arrivé sur cette fameuse place. C'était bien là et on a vu sur un bâtiment flotter le drapeau britannique. Deux soldats anglais montaient la garde devant. On s'est assis sur un banc pour repérer un peu les lieux et on a vu que deux carabiniers faisaient les cent pas... On n'avait pas d'autre moyen que de piquer un cent mètres pour essayer de franchir la porte. Nous avons choisi notre moment et nous sommes arrivés devant la porte dans le dos des policiers. Les deux anglais nous ont stoppé à l'entrée avec des fusils munis de baïonnettes et conduits au poste. Nous sommes le 11 mars à midi. Après diverses formalités, nous sommes admis au Consulat. Je vais loger quelques jours chez le chauffeur, on me donne des vêtements et des sous-vêtements neufs, on nettoie les miens et on me retape un peu. Le 14, je retrouve mon copain. Le Consul nous remet de l'argent, un billet de chemin de fer pour Madrid et des indications précises sur le taxi qui devait nous conduire de la gare de Madrid à l'Ambassade. Dans la matinée, le chauffeur que je connais maintenant, nous remet des vivres de route et nous conduit à la gare de Barcelone. Cette fois, on a le moral !!! On s'installe dans le train près d'une fenêtre pour surveiller un peu. Le train est bondé et on observe sans dire un mot et pour cause...

Entre Saragosse et Madrid, le train stoppe en pleine campagne et on voit un carabinier posté devant chaque compartiment. Nous sommes arrêtés, menottés, et gardés à vue par deux policiers en civil. Arrivés à Madrid, on nous sépare et je suis enfermé dans les dépôts de la gare et, je n'exagère pas, dans une cage gardée par un maure muni d'un cimeterre. Je n'en menais vraiment pas large. Dans la soirée, on m'emmène dans les sous-sols de la Puerta del Sol. Je ne soupçonnais pas encore à cette époque ce qui se passait dans ces caves. Un triste décor, un rond-point au centre avec le bureau des gardiens et derrière d'énormes grilles, d'un coté des femmes, de l'autre les hommes. Pour mater les prisonniers, les gardiens se servent d'un fouet qu'ils savent très bien manier. Chez les hommes, un long couloir, des cellules d'un seul coté, très basses de plafond, deux mètres environ. Les ampoules nous arrivent à la hauteur des yeux. Pour nourriture, deux soupes par jour, midi et soir. Pas de petit déjeuner, la moitié d'une tartine de pain dans la journée. Il vaut mieux ne pas se précipiter pour la nourriture, le service d'ordre est efficace et le fouet fonctionne bien. J'ai quand même la satisfaction de rencontrer des prisonniers de tous bords, des politiques, des français, des belges, dont un médecin qui va nous ausculter tous les jours, des luxembourgeois, des polonais. Le 22 mars, la police nous ramène à Barcelone. Nous recevons une visite discrète du Consul qui passe devant les cages, observe mais ne dit rien. On apprend qu'on va être rapatrié en France vers deux directions, l'une vers Biarritz, l'autre vers Port Bou, d'un coté vers les allemands, de l'autre la police française de PETAIN. Par chance pour moi, ce sera Port Bou où je serai remis aux mains de la gendarmerie française. Les gendarmes ne nous ménagent pas. Ils échangent nos menottes espagnoles pour des menottes françaises, nous bousculent, nous font monter sans ménagement dans une camionnette et le trajet s'effectue sans un mot. Dans la cour de la gendarmerie de Cerbere qui ressemble à une petite forteresse, un responsable nous demande de nous conduire calmement, nous dit qu'il nous comprend...Nous lui disons que nous sommes d'accord et nous avons droit à une cellule chacun, la porte restant ouverte. on nous propose une douche, nos vêtements sont récupérés et on nous donne un pyjama. Le soir, je vais dîner à la table d'un gendarme et nos vêtements seront nettoyés et repassés par des femmes de gendarmes. Nous resterons là cinq ou six jours et nous serons conduits à la maison d'arrêt de Perpignan pour y être jugés et condamnés à un mois de prison ferme et 1000F d'amende. En prison, je suis séparé de mon camarade et je vais y passer trois semaines en salle commune. Il y avait là un caïd qui m'a demandé pourquoi je me trouvais en prison. Je lui ai expliqué et il m'a un peu protégé, me disant qu'il avait un fils de mon âge. Tous les jours à midi, il recevait de l'extérieur un plateau repas très copieux qu'il partageait avec moi. Pour dormir, c'était à même le sol avec une seule couverture. Les jours passaient et un matin, je suis convoqué chez le directeur de la prison qui m'annonce que je serai bientôt libéré et il me fait une sorte de chantage: ou un engagement dans l'armée ou le camp d'Argelès...je choisis le camp. De retour dans la salle commune, mon "protecteur" me demande la raison de mon choix et trouve que j'ai agi comme un gamin et que j'aurais mieux fait de prendre l'armée, que j'aurais pu y reprendre des forces et ensuite, de tenter un passage en Espagne !!! C'est lui qui appelle les gardiens pour dire que je veux voir le directeur...et je signe un engagement de trois ans dans la cavalerie, au 12ème Cuirassiers d'Orange.

Le 24 avril 1941, à ma sortie de prison, je suis envoyé dans une villa dans la périphérie de Perpignan "La Roseraie". Je suis couvert de poux et quand je retire mon pantalon, je les vois grouiller. J'ai du subir un nettoyage et une désinfection en règle. Le 6 mai, les gendarmes sont venus me chercher pour me conduire à Orange. Trajet en chemin de fer avec les menottes. quand j'arrive au régiment, le lieutenant des effectifs m'accueille par : "Encore un déserteur ?". Je lui réponds : "Non, puisque je n'ai jamais été soldat!" Il a alors "engueulé" les gendarmes, il n'y a pas d'autre terme, de façon magistrale, pour avoir osé conduire menotté un homme qui avait purgé sa peine. Je me retrouve d'abord dans un escadron cycliste, puis je suis un stage de radio. En février 1942, j'apprends qu'on demande des volontaires pour l'A.O.F. Le lieutenant des effectifs me fait appeler pour me conseiller de faire la demande, ce que je fais. Ma demande sera déchirée par un capitaine qui me soupçonnait d'avoir des idées derrière la tête..mais je recommencerai. Comment j'ai été désigné ??? je n'en sais rien, mais je quitterai Orange pour Dakar le 9 avril 1942.

A Dakar, je suis affecté au 12ème R.C.A. à Thiès. Le 30 avril 1942, le lieutenant GRIBIUS qui avait lu mon dossier, me refuse sous le prétexte que je serai un élément perturbateur. Présenté au Commandant de LANGLADE qui commande l'unité, il obligera GRIBIUS à m'accepter et, en tête à tête, me certifie qu'on va bientôt en découdre avec les boches. Il a participé en tant que volontaire à la grande guerre et s'en souvient...Les jours passent à faire de l'instruction avec les 23 derniers SOMUA de l'armée française. Le 12 janvier 1943, l'escadron chars est désigné pour aller se battre en Tunisie. je ne suis pas sur l'effectif des partants et je me débrouille pour me trouver sur le passage de LANGLADE et lui faire part de ma déconvenue. Grâce à lui, je pourrai partir.

En Tunisie, je suis gâté, agent de liaison moto, je peux me déplacer derrière les chars sur des pistes parfois minées. J'ai oublié de dire qu'on touchait au départ une partie de prime d'engagement que le trésorier m'a confisqué pour...payer l'amende qui m'avait été infligée par le tribunal. La campagne de Tunisie est terminée et je participe au défilé de la victoire à Tunis.

L'escadron fera mouvement vers l'Algérie, à Rio Salado en Oranie. Le 11 septembre 1943, le Colonel de LANGLADE rassemble son régiment sur la place de Rio Salado ( 7 escadrons et son EHR). On insiste beaucoup sur la présentation car on attend la visite d'un général et on pressent un évènement important. On saura plus tard que ce général était LECLERC. Il vient nous voir, nous fait un discours sur l'importance de la cohésion de l'armée, qu'il va former une division et que tous ceux qui désire le suivre fassent un pas en avant. On le fait et ça va nous mener bien plus loin qu'on ne le soupçonnait.

Témara le 1er octobre 1943, une division de plus de 16000 hommes dans une forêt de chênes-lièges où nous campons sous la tente. Nous quittons Témara le 9 avril 1944 pour embarquer le lendemain, jour de Pâques. Cette fois, nous voguons vers l'Angleterre. Nous débarquons à Swansea le 22 avril, après 12 jours de très mauvaise mer. Nous étions sur des L.S.T., bateaux porte-chars à fond plat et aussi loin que nous pouvions voir, des bateaux et encore des bateaux, une véritable armada. Un spectacle extraordinaire dont j'ai bien profité, mais pas tout le monde car la majorité était malade. On a eu droit aux grenades sous-marines, mais puisque je suis là, tout s'est bien passé. On arrive et on débarque les chars, malheureusement, il n'y a que les valides qui peuvent le faire, mais là, au 3ème char, j'ai droit au mal de terre. Mais je peux me dire : "Mon gars, ça y est, tu y es arrivé...".

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