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Récits et anecdotes

7 novembre 2011

Récits et Anecdotes Le Chef d’Escadrons Guy

Récits et Anecdotes

 

 12_RCA_CANIOT_portrait  Le Chef d’Escadrons Guy CANIOT, un homme de conviction, Directeur du Journal BLED, Officier au 12ème Régiment de Chasseurs d’Afrique.

Né à Constantine le 16 juillet 1918, Guy CANIOT effectua sa première communion à Bordj Bou Arreridj, en l’église voisine du domicile de ses parents, et fréquenta l’école des garçons située à deux pas. Enfant, il accompagnait son père dans les Maadid pour y chasser les sangliers et l’outarde ou dans la plaine du Hodna, la Ganga, perdrix des sables.

Ganga

Il suivit les cours au Lycée de Constantine, puis à la faculté de droit d'Alger. Gaulliste en 1940, il l’était encore en 1954 lors du déclenchement de l’insurrection de novembre en Algérie. A ce moment là, il était Capitaine au Service d’Information du Cabinet du Ministre de la Défense, Jacques CHABAN-DELMAS, à Paris. Compte tenu de ses expériences indochinoises, il fut envoyé en mission en Algérie, son pays natal, en novembre 1954, pour être, à l’issue, chargé par le Général BLANC, Chef d’Etat Major de l’Armée de Terre, de concevoir l’organisation de bureaux d’action psychologique, futurs 5èmes Bureaux qui seront ensuite développés sous l'impulsion du Colonel  LACHEROY. Il rédige alors en 1955 plusieurs rapports sur le sujet, dont : "L'action Psychologique en Algérie".

Afin d’effectuer son temps de commandement, il fut affecté début 1956 au 6ème Régiment de Cuirassiers qui se trouvait alors à l’est de Tébessa, Secteur d’Elma el Abiod, près de la frontière tunisienne.

12_RCA_JOURNAL_LE_BLED

Courant 1956, il fut muté à Alger, au 9, Boulevard Laferrière, dans les anciens locaux de « La Dépêche Algérienne », pour prendre la direction du Journal « LE BLED », qui avait été créé par le Général LORILLOT l’année précédente, hebdomadaire des Armées distribué gratuitement dans les Régiments. Sous le haut contrôle du Général SALAN, le Journal était tiré à 300.000 exemplaires et paraissait en six éditions : d’Algérie en Français, d’Algérie en arabe, de Métropole, du Maroc, de Tunisie et des forces Françaises en Allemagne. La préparation était faite à Alger, puis envoyée par avion à Paris, Rabat, Tunis et Baden-Baden en Allemagne, où étaient réalisés les tirages.

LE_BLED_copie

Les prises de positions politiques "Algérie Française" du Journal « LE BLED » lors du 13 mai 1958 provoquèrent la mutation de Guy CANIOT à Paris, et le changement de nom du journal en « BLED ». Rapidement sa ligne éditoriale fut « reprise en main » par le gouvernement qui lui donna une orientation conforme à l’évolution de sa politique algérienne, c'est-à-dire vers l’indépendance de l’Algérie.

CNE CANIOT

Promu Chef d’Escadrons, Guy CANIOT signa son dernier « BLED » le 18 décembre 1958, puis fut muté à l’État Major de la Zone Nord Algérois commandé par le Général COSTE. Cette affectation ne lui convenant plus, il opta pour le 12ème Régiment de Chasseurs d’Afrique basé à M’Sila, dans le sud-ouest constantinois, dont un poste de son grade venait d’être libéré. Venant d’Alger, il arriva à M’Sila le 15 mai 1960. Il fut reçu par le Colonel du CHÉNÉ, Chef de Corps, qui l’affecta en remplacement du Chef d’Escadrons VIEUX en fin de séjour, comme Commandant du Quartier de M'Sila. Il se réjouissait de pouvoir continuer la pacification de la région du Chott el Hodna que son arrière-grand-père avait commencée un siècle auparavant comme Officier au 3ème Chasseurs d’Afrique. 

Il installa son PC dans une vaste maison à la sortie ouest de M’Sila. Pour mener à bien ses missions, le CE Guy CANIOT disposait du 4ème Escadron du 12ème RCA, commandé par le Capitaine François de LESCURE, sur automitrailleuses AMM8, maintenant stationné à M’Sila, des GMS 93 du Ksob et GMS 52 de M’Sila, d’une Harka commandée par un OR, et, sur demande, du Commando 66 formé par la 3ème Compagnie du 4ème Bataillon de Zouaves se trouvant provisoirement près du barrage du Ksob. D’autre part, il pouvait disposer en priorité du Peloton d’avions légers basé sur le terrain d’aviation à quelques kilomètres au nord-ouest de M’Sila, sur la route de Tarmount, qui était alors aux ordres d’un cavalier, le Capitaine ABOUDARAM.

Sa mission principale : regrouper les populations afin de les soustraire à l’action psychologique, à la perception de l’impôt, la Chtirak, et au terrorisme du FLN, afin que ce dernier ne puisse plus être « Comme un poisson dans l’eau ».   

Sa zone d’action : Le Secteur de M’Sila, c'est-à-dire, au nord les monts du Hodna avec les quartiers du Hammam et du Ksob, à l’est, vers Barika, le Quartier de Selmane, au sud, le Chott el Hodna et au-delà jusqu’à Bou-Saada, et à l’ouest, jusqu’à la limite du Corps d’Armée d’Alger.

Tantôt avec les uns, tantôt avec les autres de ses moyens, le Chef d'Escadrons CANIOT était toujours sur le terrain, de jour comme de nuit, impliqué avec passion dans son rôle de pacificateur.

Suite à information de l’aviation, le 25 juin 1960, qui avait repéré des mouvements suspects de cavaliers et de piétons en limite sud-ouest du Quartier, Le CE CANIOT se porta, sous une pluie battante, avec le Peloton Pionniers, l’Escadron du 4/12 et les GMS 52 et 93 à la Mechta Dialem, sans avoir été détecté. L’interception eut lieu dans l’oued el Ham où 8 rebelles se rendirent avec leurs armes. Leurs chevaux permirent aux Harkis à pieds de devenir cavaliers. CANIOT décida alors d’implanter là un poste sous les ordres de l’Aspirant SIRIZZOTTI. Celui-ci transforma avec son Peloton une maison cantonnière abandonnée près du pont de l’oued en un poste solide.

12_RCA_SIRIZZOTTI_mechta_Dialem_3

 L’opération de regroupement des Ouled Mansour s’effectua courant juin et jusqu’au 8 juillet 1960 grâce à l’efficacité de l’Aspirant SIRIZZOTTI. Confection de briques en torchis pour élever les murs des maisons, les toits réalisés à partir des poutres des mechtas abandonnées, récupération des chaumes. Le 8 juillet, une trentaine de familles transportées en camions, venaient prendre possession des maisons du regroupement. Ce regroupement fut GAD (Groupe d’Auto-défense) et fut confié à un Sergent Harki. le Général Commandant la Z.O.C., accompagné de journalistes, vint le visiter, mais curieusement aucun article ne fut publié.

Les 9 et 10 juillet 1960, l’Aspirant SIRIZZOTTI, à la tête d’un petit commando composé d’un MDL et de deux Harkis déguisés en faux fellouzes, investit une des maisons de Mechta Dialem où avait lieu une réunion de rebelles.  

La présence permanente sur le terrain permit la mise en insécurité des éléments HLL, la découverte de très nombreuses caches avec récupération d’armes, de matériel divers de stock de nourriture de documents permettaient de préparer les interventions suivantes. 

12_RCA_MOUZIN_1

 

Afin d’occuper les espaces par un maillage de postes, le Chef d'Escadrons CANIOT fit créer aussi les postes de Baniou et d’El Gassia, réorganisa la protection de la SAS de Chellal devenue très vulnérable, installa une école et une infirmerie aux Ouled Mansour ainsi qu’aux deux nouveaux postes, fit venir régulièrement l’assistance médicale dans tous les postes du Régiment. A El Gassia, le moniteur sportif avait été formé à Issoire, en Métropole.

12_RCA_CANIOT_1

 

L’épouse du CE CANIOT rejoignit son mari quelques temps à M’Sila. Elle logea à l’«Hôtel des Voyageurs » tenu par Madame MAHMED, une Allemande veuve d’un musulman, s’impliquant dans son rôle social, faisant le « Père Noël » à Mechta Dialem en décembre 1960. 

Le 15 janvier 1961, nouvelle intervention aux Ouled Mansour contre des HLL cachés dans les maisons abandonnées à la suite du regroupement. Les HLL se rendirent avec leurs armes.

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Après plus de 11 mois de missions ininterrompues, le 21 avril 1961, le Chef d’Escadrons CANIOT quitta M’Sila à bord d’un piper de l’ALAT. La veille, une prise d’armes eut lieu sur la place devant le PC du Régiment. Le Lieutenant-colonel BLACAS, Chef de Corps du 12ème RCA, étant en permission, ce fut son Commandant en second, le Chef d’Escadrons ESTIEU, qui présida cette cérémonie. Elle fut suivie d’un repas au mess avec les adieux de chacun.

Après une boucle au dessus de M’Sila, le piper survola les Ouled Mansour avec son drapeau tricolore, et bientôt la Mitidja, puis effectua l’atterrissage à Maison-Blanche.

Après quelques semaines passées à Alger, le CE CANIOT rejoignit sa nouvelle affectation à la Section d’Etudes et de Recherches de l’Armée de Terre, boulevard Victor à Paris, et prit en charge le groupement Psychologique pour le rajeunissement de la pédagogie dans les Ecoles Militaires, puis le Groupement fut annexé à la D.T.A.I. C’est alors qu’il demanda sa mise en disponibilité en 1964 comme Chef d’Escadrons.

Dès son retour à Paris, il se tiendra informé par son successeur le CE GRANDJEAN de la situation du 12ème RCA, et précisément des Harkis qu’il avait commandés. 

Maintenant civil, il opta pour une place dans l’industrie pharmaceutique à Toulouse pour animer un réseau de 120 technico-commerciaux sur toute la France. Il y passa 6 années.

12_RCA_CANIOT_D_part_Harkis_d_Ain_Arnat

 

En parallèle à ses activités professionnelles et dès les accords d’Evian de mars 1962, restant fidèle à ses idées, il s’investit dans le rapatriement des Harkis du 12ème RCA, réceptionnant ceux que les cadres du  Régiment arrivaient à faire évacuer par Aïn-Arnat, l’aérodrome de Sétif, trouvant en Métropole logement décent et travail pour eux et leur famille.

Un décret de 1980 lui permit de clore sa carrière militaire avec le grade de Lieutenant-colonel.

12_RCA_CANIOT_1

 

Il décéda le 27 septembre 2004 dans sa région de Bigorre dans les Hautes Pyrénées.  

 
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12_RCA_OLEKSIUK_2_portrait_petit   Du MDL Michel OLEKSUIK - Classe 56 2/A -du 1er Escadron.

Récit de l'embuscade du Pont de Medjez du 10 août 1958.

 

Voici le récit de mon jour le plus long et le plus stressant de ma vie, ainsi que la date du 10 Août 1958 que je n’oublierai jamais.

Ce matin là, je me réveillai et comme tous les jours, j’allai faire ma toilette en dehors de la tente sous le seul robinet d’eau que nous avions au camp. Nous étions avec mes camarades du 1er escadron du 12eme RCA quelques uns détachés de Ben Saoucha. Nous logions sous une grande tente à M’Sila, derrière l’atelier régimentaire, et dormions sur des lits de camps. Tous les jours, nous faisions des escortes de convois et autres missions, ainsi que la garde de nuit des engins de chantier qui installaient l’oléoduc pour le pétrole.

Quand j’eus fini de m’habiller, je pris ma ceinture avec mon PA « révolver » et je vis tout de suite qu’il me manquait un chargeur. Je me suis dit ; « Quel est ce salaud qui m’a pris mon chargeur ? Pour une plaisanterie, c‘était plutôt de mauvais gout ». Après avoir demandé aux camarades, personne ne l’avait vu. Après le café, j’allai aux ordres et là, on me demanda de partir avec mon escorte qui était constituée de deux jeeps depuis quelque temps à la place des AMM8 auparavant. Je devais emmener du courrier et des missives au deuxième escadron et ensuite repartir par la piste nord qui longeait les montagnes pour aller rejoindre la route de Bordj Bou Arréridj et attendre pour escorter le convoi de ravitaillement à onze heures pour M’Sila.

Arrivé au deuxième escadron, je remis le courrier et accordai une demi heure de pose à mes hommes, le temps de boire une bière au foyer et de dire un bref bonjour aux copains de la classe. A 9H30, rassemblement pour le départ, mais l’heure venue, il n’y avait que les trois hommes de la deuxième jeep qui étaient là. Mon chauffeur avait disparu. Après un bon moment, je finis par le retrouver en train de siroter avec des copains à coté d’un char. Après lui avoir passé un savon, nous repartîmes soucieux d’arriver à temps pour le convoi que nous devions escorter. Mon courroux s’estompa et nous arrivâmes sans encombre sur la route à temps. Un quart d’heure après, le convoi est arrivé et nous avons pu assurer notre mission normalement.

Ce même dimanche après-midi, nous étions toujours de service et nos véhicules étaient stationnés dans la cour de l’ECS. Il faisait une chaleur écrasante, nous somnolions à l’ombre sous les arbres, quand soudain une jeep bâchée s’arrêta devant l’entrée, un Adjudant en descendit accompagné de deux autres militaires et demanda à voir le Capitaine. Quelques minutes après, celui-ci me fit appeler et me donna pour mission d’escorter la jeep de l’Adjudant jusqu'à BBA.

Je retournai voir mes hommes et leurs expliquai notre mission. C’est alors que je m’aperçus que mon chauffeur n’était encore pas là. Je piquai une colère, deux fois dans la journée, ça faisait beaucoup ! J’appelai à droite, à gauche, pas là. C’est alors qu’un camarade, le Chasseur de 1ère Classe André MASSICARD, qui se trouvait là me dit : « mais margis, je peux le remplacer, je n’ai pas de jeep attitrée et j’aimerais bien conduire un peu ». Je n’avais pas le choix, il fallait partir alors j’acceptai. Nous partîmes donc, tout le monde était content de sortir au lieu de se morfondre sur place.

En cours de route, nous parlions de choses et d’autres. En abordant la montagne, il me raconta une étrange histoire : Dans la matinée, il faisait partie de l’escorte d'un convoi qui était allé chercher des jeunes recrues à la gare de BBA(1). Au retour, un des GMC (2) qui ramenait les « bleus » creva et il  fallut changer la roue. Le convoi s’arrêta et les jeunes descendirent pour aller se soulager en attendant. Ces jeunes ne devaient arriver que l’après-midi, mais on était allé les chercher le matin ! (3)C’est alors que le chauffeur du 2ème GMC, mon copain le 1ère Classe Claude JOUBERT, avait dit : «Il faudrait que quelqu’un monte sur la colline pour surveiller ! » Comme personne ne réagissait, il y monta lui-même. En redescendant, il fit part au Lieutenant qui les encadrait : «Devinez ce que j’ai vu la haut ; un nid de mitrailleuses juste installé et j’ai même ramené un bout de tissu de fellous ». Le Lieutenant lui avait ri au nez et ne l’avait pas pris au sérieux, puis ils étaient repartis.

12_RCA_MEDJEZ_pont

En arrivant sur les lieux, mon chauffeur me fit voir la colline où ils avaient trouvé le nid de FM. Soudain, juste avant le pont de MEDJEZ, des hommes en treillis avec des mitraillettes et brassards verts et blancs marqués PM sortirent du bas côté de la route. Ils nous ont laissé passer, nous les avons regardés interloqués, mais nous avons vite compris quand au milieu du pont, un autre groupe à surgi du bas côté et à commencé à nous mitrailler. C’est la jeep qui a pris, elle n’avançait plus. Je criai à mon pilote : « accélère, accélère ». Il me répondit : « elle n’avance plus, je suis blessé ». C’est à ce moment là que la jeep de l’Adjudant nous doubla en nous criant quelque chose (l'Adjudant avait été tué d'une balle en plein coeur par une des premières rafales). Comme notre véhicule allait s’arrêter, je jetai un coup d’œil par la portière et je vis des ronds blancs de poussière par terre, je compris que c’étaient des impacts de balles ; ils nous tiraient par derrière. Je n’hésitai pas une seconde, je sautai en criant à mon chauffeur : «Saute ! Saute ! ». Je m’abritai dans un fossé et là, je vis ma jeep redescendre en marche arrière vide. Je me suis dit : « il a pu sauter », la mitraille continuait. C’est là que j’aperçus un petit ponceau qui passait sous la route. Je m’y suis caché, j’ai traversé à quatre pattes et de l’autre côté, j’ai vu le premier groupe de fells que leur chef, avec des grands gestes, encourageait à aller aider les autres en criant.

12_RCA_LOGNOZ_pont_de_Medjez

                                               

Je vis aussi notre deuxième jeep descendre dans l’oued vide avec la mitrailleuse de trente à l’arrière sur son support. Je me suis dit : «Ils vont venir la chercher et comme ils m’ont vu sauter, ils vont venir voir »

C’est à ce moment là que je me suis mis à réfléchir intensément, une pensée pour mes parents, puis une solution pour survivre. Il y avait quelques pierres sous le ponceau, faire un petit abri et me défendre avec mon PA et un chargeur cinq balles et la sixième, je la garde pour moi ? Non, ce n’était pas la bonne solution, ils vont venir et balancer une grenade, je serai foutu. Je sortis donc avec précautions. Dehors, je quittai mon casque et mes lunettes et pris la décision de partir par la colline, ça tirait toujours derrière moi. Je grimpai donc à quatre pattes m’attendant à chaque seconde à recevoir une rafale de FM. Arrivé presque en Haut, je me retournai un instant, tout étonné d’être encore en vie. Une pensée pour mes trois camarades : « Ils doivent êtres tous morts avec toute cette mitraille », je continuai tant bien que mal, les jambes en coton, la gorge sèche, le souffle coupé. En haut, j’aperçu un petit berger avec ses moutons, je lui dis de partir car il y avait des fellagas là bas. Il partit, et moi je me suis couché dans un petit ruisseau où l’eau ravinait par temps de grosses pluies, j’étais lavé. J’ai repris ma respiration et je m’obligeai à repartir. J’ai traversé la route de BBA, je suis descendu dans l’oued à sec bien sur à cette saison, et de l’autre côté, il y avait des rochers d’où je voyais d’assez loin pour avoir toujours une distance en cas de poursuite. Je voyais également la route et le pont. Et c’est là que j’ai attendu les secours pendant trois heures. C’était long, mais j’étais soulagé car je savais qu’à présent, j’étais sauvé. Trois heures à attendre en milieu hostile et avec ce qui m’était arrivé, c’est très long…En arrivant au camp du 8ème Spahis à BBA, les deux survivants de la jeep de l'Adjudant ont donné l'alerte, aussitôt transmise au PC du 12ème RCA à M'Sila.

Tout d’un coup, je vis arriver nos AM et un GMC à l’entrée du pont. Je sortis de ma cachette et courus sur la route à leur rencontre en faisant des grands signes avec les bras. Un homme est venu à mon avance pour me réconforter, c’était le MDL René CHIROUX. En passant devant le fossé où je m’étais refugié, je lui expliquai quand soudain une rafale de 50 crépita. En une seconde, j’étais de nouveau dans le fossé. C’est là que j’ai retrouvé mon casque, quand aux lunettes de soleil, elles avaient disparu. Je me suis dit alors : «Ils sont bien venus là, mais le casque ne les intéressait pas, mais les lunettes, si ».

Arrivé au pont, je vis mes deux camarades VASSEUR et LEPECHOUR morts, allongés dans le caniveau, criblés de balles et plein de sang. Le Lieutenant s’avança vers moi et dit : «Qu’est ce que c’est que ce travail ? ». Il me donna alors une grosse claque : « Vous aviez une arme automatique, il fallait vous défendre. Prenez-lui son arme. » Et après l’avoir examinée, il s’aperçut que le deuxième chargeur manquait. «Mais où est le deuxième chargeur ? » «Il est là, il est là mon Lieutenant » et c’est comme ça que j’ai vu qui m’avait pris mon chargeur le matin !

Le tribunal militaire, c’est ce qu’aurait pu gagner ce MDL X ? Mais j’avais d’autres soucis pour l’heure. C’est comme ce Lieutenant dont j’ai oublié le nom, je sais simplement qu’il venait d’un régiment de paras en Indochine. Il aurait eu à faire à d’autres que moi, il aurait peut être fait le quatrième mort pour la France au combat !

La nuit commençait à tomber, ils interrompirent les recherches pour retrouver le Brigadier BEON.

Après avoir chargé les corps des deux tués, nous repartîmes à M’Sila. Après une nuit passée au campement, le lendemain matin, j’ai dû repartir vers Bordj Bou Arréridj ramener les corps de nos deux camarades pour qu’ils soient rapatriés dans leurs familles.

Arrivés au pont de MEDJEZ, nous nous sommes arrêtés et avons continué à chercher. Il y avait une grosse flaque de sang sous le pont. C’était horrible à voir, mais nous n’avions pas tout vu. Tout d’un coup, quelqu’un cria : « Il est là, Il est là ! ». Derrière un monticule de pierres, à cinquante mètres environ du pont, le corps sans vie du Brigadier BEON gisait dans une mare de sang. Criblé de balles, tout un chargeur et en plus, une balle en pleine tempe à bout portant qui lui avait brûlé les cheveux tout autour ! Le Lieutenant ordonna aux hommes de prendre le corps et de le mettre derrière dans le commande-car. Devant l’hésitation bien compréhensible, il eu cette phrase mémorable : « Alors quoi ? Vous avez peur de vous salir les mains avec du sang français ? Après quoi, nous partîmes vers BBA, il m’ordonna de faire le chef de voiture du commande-car. Il faut dire que le matin, on m’avait redonné mon PA avec ses chargeurs. Je pensais alors que le Colonel avait rectifié le tir !

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Ateliers du 12ème RCA - Impact des balles sur la jeep.

Revenus à M’Sila, en allant au mess des Sous-officiers, tous les copains qui étaient là se sont tus et m’ont regardé avec des yeux ronds. Je leur ai dit : «Qu’est ce que vous avez à me regarder comme ça ? Je ne suis pas un martien, ni un revenant ! Revenant de loin sûrement ». Après quoi, ils m’ont tous questionné et félicité et j’ai repris ma place parmi eux.

La vie a repris, sauf que les escortes se faisaient avec des AM cette fois.

Je me souviens avoir attrapé une jaunisse qui est passée toute seule sans médicaments. Les copains me disaient : «Tu ressembles à un chinois, tu es tout jaune. »

Si je vous ai raconté dans les détails cette fameuse journée, ce n’est pas pour me valoriser ou me prendre pour un quelconque héros, ce serait plutôt le contraire. Mais j’ai simplement voulu vous faire ressentir les émotions d’un jeune de 20 ans devant la mort imminente qui lui courrait derrière.

En Hommage à nos Camarades décédés :

Brigadier Pierre BEON, Chasseur Claude VASSEUR, Chasseur Claude LEPECHOUR. Ils furent veillés toute la nuit, avec relève toutes les heures, par leurs camarades en tenue n° 1.

A notre Camarade blessé grièvement :

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Au moment du déclenchement de l'embuscade, le Chasseur de 1ère Classe André MASSICARD qui conduisait la première jeep, a été blessé par une rafale au côté droit près du poumon, ainsi qu'au bras droit (fracture ouverte). Il s'est jeté de la jeep dans le fossé gauche, puis s'est caché. Après un moment, perdant son sang, il a parcouru 2 à 3 kilomètres et remontant sur la route, a rencontré deux civils qui l'ont conduit à l'infirmerie du Secteur du 8ème Spahis à BBA. Il est resté dans le coma pendant deux jours, hospitalisé 45 jours, puis évacué vers la Métropole, n'est pas revenu au 12ème RCA. Titulaire d'une Citation à l'Ordre de la Division du 4 septembre 1958 avec Croix de la Valeur Militaire avec étoile d'argent :

"Conducteur de jeep de combat, a toujours fait preuve de courage et de sang-froid. En particulier, le 10 août 1958, en mission d'escorte sur B.B.A. a été grièvement blessé par balle en forçant, en tête de son groupe de protection, le pont de Medjez fortement tenu par des rebelles dotés d'armes automatiques. A néanmoins réussi à dégager son véhicule de l'embuscade avant de perdre connaissance."

 Compléments apportés à ce témoignage :

(1) recrues affectées au 4ème Zouaves.

(2) Il y avait 3 GMC.

(3) le convoi avait plusieurs heures d'avance, car le responsable du convoi avait préféré, plutôt que déjeuner froid à BBA, partir immédiatement et prendre un repas chaud à l'arrivée à M'Sila. 

 

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HISTOIRE D'UN CHASSEUR D'AFRIQUE EXEMPLAIRE...RENE CHIROUX.

                                                                                                Maréchal des Logis Chef au 1er Escadron du 12ème Régiment de Chasseurs d'Afrique.

 

                                                                                         « Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit »

 12_RCA_CHIROUX_Ren__portrait_1    René Chiroux né en 1933 est un gars du Nord…une Province dont chacun connaît le courage et le cœur de ses habitants. Là-haut, l’amitié et la solidarité ne sont pas de vains mots.

Son père était mineur, son grand-père et arrière grand-père aussi. A 14 ans, Certificat d'étude en poche, lui aussi va descendre à la fosse, et en février 1948, il est activé comme mineur. Depuis l’âge de trois ans, il est orphelin de mère. Elle seule aurait pu infléchir la volonté du père car René ne voulait plus de ce métier, et à juste raison. Alors un jour …ce fut sa libération en étant appelé sous les Drapeaux …Classe 1954, recrutement de Cambrai, qui lui fit changer d’horizon en l’envoyant des crassiers du Nord vers le chaud soleil marocain pour incorporation au 12ème Régiment de Chasseurs d’Afrique à Meknès.

C’est le 11 mai 1954, qu’il commence à apprendre son véritable métier de Cavalier Blindé d’Afrique au sein du 1er escadron, celui des « BISONS ». De suite, il se distingue, en plus de sa haute taille de 193 cms, par sa volonté d’être des meilleurs. Cinq mois après l’Instruction de base, il est nommé Brigadier et fier de ses premiers galons jonquille qu’il ne garde que quatre mois, avant le suivant. Le Brigadier-Chef Chiroux entre dans le corps des Sous-officiers en étant nommé Maréchal des Logis juste un an après son arrivée au Régiment. Peu d’Appelés ont eu ce beau parcours.

A l’Escadron, Chiroux tient des emplois d’Opérateur radio-chiffreur, dépanneur radio, dont il a les certificats; il est même un temps vaguemestre de remplacement. Il accepte toutes les missions. Il est la discipline même, la volonté de servir au mieux avec le goût, l’esprit et le sens des responsabilités.

Il réussit l'examen du Certificat Inter Armes avec la belle moyenne de 18/20, et le 15 août 1958, il obtient le Brevet d’Armes n°1. Ces deux diplômes lui donnent ainsi le Brevet de Chef de Peloton... à 25 ans. Il détient aussi les permis de conduire moto,V.L., P.L. et  le Brevet de pilote d’Auto-Mitrailleuse.

A l’issue de son temps de Service, il s’engage pour deux ans, puis, il signe un contrat définitif de 4 ans, en 1957, qui le lie à jamais à l’Armée…Mais le destin est maître de toute chose…et lui, qui s’était donné à elle et voulait y faire carrière, sera obligé de la quitter après quatre années seulement…La suite de l’histoire nous dira quelles en furent les circonstances….C’ était il y a juste 53 ans, un 10 novembre comme celui où ces lignes sont écrites.

Au sein de l’escadron des Bisons dont la devise est : « TOUJOURS A SA PLACE », alors que le Maroc entre dans la turbulence qui l’amènera à sa totale indépendance, René est de toutes les missions. Volontaire de surcroît, dans la nécessité. Il est du Maintien de l’Ordre et assure surtout des liaisons en Médina, la Ville Impériale, aux piquets d’intervention placés aux portes monumentales et leurs quartiers aux rues étroites et tortueuses…Bab el Mansour, Bab Mellah, Bab Berrima , la grande Place El Hedim (celle de la destruction) et au dehors, le Bordj Moulay Omar et le Dispensaire Poulain, Sidi Baba, le Pont Portugais. Les missions des escadrons sont en alternance avec les Légionnaires du 4ème Etranger ou des unités du 5ème d’Infanterie venu de métropole. Chiroux est un temps Radio au Peloton Hors Rang auprès de son Capitaine, soit sur le Scout ou l'AM.M8 de commandement.

Le 12ème a surtout connu l'esplanade élevée du Champ de Foire où, par roulements, des pelotons de chars moyens M4 "Sherman" et par la suite des Autos-Mitrailleuses M8 "Lévriers", face à la Médina et séparés d’elle par l’oued Boufekrane (les tortues cistudes), font voir leurs canons dirigés vers ses imposantes murailles durant des jours et des nuits.

Bien sûr que la majorité des Chasseurs d’Afrique d’« AUDACE N’EST PAS DERAISON », sortis du même moule que René Chiroux,  en ont sa valeur et suivent avec dynamisme et dans la vitalité de leurs vingt ans les képis de leurs chefs directs, eux-mêmes commandés par des Capitaines de valeur : Pierre Constantin Leré (Grand Bison), et par la suite Jacques Lorrain.

En septembre 1955, le régiment perçoit des Autos-Mitrailleuses M8, qu’il gardera jusqu’à sa dissolution en 1963, et aussi des Scout-cars M3, conservant ses bons vieux Half-Tracks et véhicules de dotation.

Le 3 octobre 1955, l’escadron des Bisons, au cent à l’heure de ses Lévriers, se porte plein Est à Guercif, puis à Berkine où des Européens viennent d'être massacrés. Il fait ensuite mouvement sur Taza avec hébergement au 4ème Tirailleurs Marocains.

De cette base partent alors des pelotons en missions diverses dans le RIF Nord-est, Aknoul, Boured…où cela chauffe et le temps d’une relève. Le 7 octobre, les "Bisons" reviennent à Fès, puis partent sur Taounate, au centre du RIF. Bivouac route de Tahar Souk piste d’Aïn Tablia, et René est toujours radio-chiffreur tout en s’occupant de ce courrier, si cher à tout soldat en opération.

Le 10 octobre, le Lieutenant-colonel Huot, Chef de Corps, vient en inspection. Chiroux part en liaison sur Meknès avec le Lieutenant Charpentier en VLRD, et lui, chef de bord d’un G.M.C. Le 12, ils reviennent avec 38 Chasseurs en renfort. Pendant ce temps, les pelotons au complet ou par patrouilles sillonnent le RIF et surtout le long de la frontière du Maroc Espagnol où les bandes rebelles vont et viennent.

Le 16 octobre, René repart en liaison sur Meknès avec accompagnant le Lieutenant Layachi. Avec le Maréchal des Logis Mazoli, il doit aller suivre des cours préparatoires au C.I.A.

Le 18 octobre, le Maréchal des Logis Pfeil arrive et assume avec compétence et ouverture d’esprit aux initiatives heureuses les fonctions importantes de Sous-officier Radio des Bisons. Le 22, c’est le Maréchal des Logis Chef Maisondieu-Laforge (Gaby) qui, muté un temps à l’E.C.S., revient à son Escadron de coeur. Après son retour de Meknès, Chiroux est à nouveau au Peloton de Commandement.

Le 25 novembre, le 1er Escadron est remplacé par le 3ème du Capitaine Guichard, et cette première campagne du RIF 1955 se termine le 25 novembre...par une rentée en "fanfare" devant le Colonel et la garde du Poste de Police au "Présentez-Armes"...Traditions ! Traditions ! Puis celle de 1956 suivit, mais dans le RIF Nord-Ouest. Les Bisons seront alors basés dans la ville Sainte d'Ouezzane, à la caserne des Tirailleurs, là où sert un Lieutenant rouquin, fils du Maréchal Juin.

Chiroux est toujours sur la brèche avec allant et bonne humeur. Sa grande joie est la fréquentation d’une jolie jeune fille de Meknès…une Espagnole, les plus belles, avec laquelle il se fiancera...mais c’est là son jardin secret !

L’année 1957 voit l’unité de René escadronner aux confins Algéro-marocains, plus exactement dans la grande et dure Hamada du Guir, avec un bivouac sous tentes à Bou-Anane.

Mais déjà se précise le départ du Régiment pour l’Algérie en 1958. Le lecteur trouvera dans le blog tous les renseignements  concernant ce mouvement. C'est le 6ème et l'avant dernier de la courte carrière de vingt années d'"AUDACE N'EST PAS DERAISON".

Le 1er Escadron tient, entre le massif des Maadid et, au sud, le Chott el Hodna, dans le Secteur de M’Sila, des postes à  Ben Saoucha (PC du Capitaine avec le P.H.R. et les 1er et 2ème Pelotons d'AM M8), le 3ème Peloton porté sur Half-Tracks, celui de Selmane de la tribu des Ouled Derredj venue du Sahara occidental depuis le XV°s. Ce Peloton du Sous-lieutenant BLADANET, Sous-officier Adjoint le Maréchal des Logis Chef MAISONDIEU, est sous tentes Mle 46 à proximité de la route n°40 qui va vers M'Sila, PC du Régiment à 21 kms ouest, et vers Barika, puis à Biskra plus à l’est.

Les missions de l'Escadron des "Bisons" sont simples dans une région où le Loup de l’Akfadou, le Colonel ALN Amirouche de la W3, a de bonnes Katibas, dont la 321…(qui sera détruite)...Assurer la protection des populations, faire leur recensement, les aider dans la vie courante...Ecoles...Soins médicaux et surtout la protection des installations pétrolières SN REPAL et de son pipe-line de 24 pouces, soit 60 cms, venant d’Hassi Messaoud et allant à Bougie, qui passe dans le secteur du 12ème R.C.A., la Station de Pompage S.P. n°3 est à M' Sila....et tout en faisant la chasse aux rebelles.

 Au sein du 2ème Peloton du Sous-lieutenant LEROUX, adjoint le Chef SALLE (Charly), avec son automitrailleuse M8 « Cotentin », René Chiroux exécute de nombreuses missions diverses de jour comme de nuit, et aussi, avec ses hommes, prenant pioches, pelles et truelles, bâtissent un Poste relativement confortable.

Le 10 août 1958, un élément de 2 jeeps de son Escadron part de M'Sila vers Bord Bou Arreridj (En berbère : Le château de l'homme au petit plumet). La petite colonne tombe dans une forte embuscade au pont de Medjez. Alerté, le Peloton, dont fait partie René CHIROUX, se porte rapidement sur les lieux à la nuit tombante. René ne verra que la récupération d'un Maréchal des Logis qui s'était caché dans une buse traversant sous la route, son conducteur sérieusement blessé s'étant mis à l'abri dans les rochers, mais d'un autre véhicule, un Brigadier et un Chasseurs furent tués. Le lendemain au même endroit, au passage du Peloton, un disparu sera retrouvé mort. René voit là, lors de sa première grande mission dans ce Hodna, nos trois premiers tués des Maâdid.

Le dimanche 9 novembre, il pleut toute la journée, les véhicules sont bâchés mais toujours prêts à intervenir. Une patrouille du 2ème Peloton est désignée pour une mission de recensement prévue le lendemain. Des pinceaux, de la peinture etc...sont déjà embarqués dans deux Jeeps afin de remettre en état sur les murs des logis, les numéros effacés ou peu lisibles servant aux contrôle et à la tenue des registres concernant les habitants habituels des douars et mechtas isolées situés au sud des Maadid, vers Souk el Khemis.

Le 10 novembre 1958 à 08H00, la Patrouille composée de l'A.M. du Chef Sallé en tête, quitte Ben Saoucha. Derrière lui les deux Jeeps, et fermant la marche, l'A.M."COTENTIN" du Maréchal des Logis Chiroux. Une AMM8 a quatre hommes d'équipage, mais ce jour là le tireur du Maréchal des Logis est indisponible, et c'est le copilote qui prend sa place importante en tourelle. Donc, l' A.M. de queue est à trois hommes.

Le petit détachement, à l’allure rapide, suit l'oued Selmane qui roule des eaux boueuses et passe à proximité du poste du même nom, puis traverse la route pour prendre un chemin détrempé allant vers les douars du nord. Un passage difficile est franchi par l'AM de SALLE…qui « tâte le terrain ». Elle est suivie des deux jeeps à distance normale. Alors que la "Cotentin" passe au même endroit, un engin miné explose sous l'Automitrailleuse.

A ce moment là, René est assis sur son siège et ses longues jambes touchent le plancher, à peine blindé, de la tourelle. Projeté vers le haut, dans l'âcre nuage de l'explosif brûlé, à de la boue et ferraille mêlées, ses jambes sont fortement touchées. En plus, il heurte le bloc-culasse du canon.

Tout cela le temps d'un éclair et sans réaction immédiate. Puis le Margis voit une partie de sa jambe gauche à hauteur de son épaule droite, son autre jambe est indolore. Cela ne dure qu'un temps, puis la douleur arrive, mais après qu'il ait pu dire au tireur qui essayait de s'extraire : " Tu n'as rien ? ". Si ce Chasseur avait été à son poste de copilote, il aurait certainement été tué. Le pilote Maurice TRAVERSARI n'est que légèrement blessé, et aussitôt, moteur coupé, il grimpe vers son chef pour l'aider.

Au bruit de l'explosion et à l'arrêt immédiat des véhicules, le Chef Sallé accourt et aide les deux Chasseurs du "Cotentin" à extraire les quatre vingt kilos du malheureux René qui est déposé sur la plage arrière de l'A.M. Le Chef Sallé place aussitôt des garrots. La jambe gauche a une double fracture ouverte du fémur et est bien touchée. Le bas de la jambe droite...n'en parlons pas, le pied surtout.

René n'a pas perdu conscience et s'aperçoit, qu'en plus, le majeur de sa main droite est cassé. Les ordres de Sallé sont rapides. Chiroux, soutenu par un Chasseur, est placé à l'arrière d'une jeep. Après avoir dit au reste de la patrouille de revenir vers le 3ème Peloton et en garde, la "Cotentin" peut rouler, le Chef Sallé emmène rapidement le blessé à Selmane. Inutile de dire qu'en de tels moments, tous les postes radio de commandement "crachent" l'évènement. Au poste, Maisondieu est là qui fait mettre des matelas dans le semi-chenillé le plus proche, y installe Chiroux qui le reconnaît, il le réconforte et dit au Maréchal des Logis chef du blindé : «Direction M' Sila, l'Infirmerie...et pas trop vite quand même.» Sallé dans sa jeep suit.

A El Hajeb au Maroc, lors d’une séance de tirs à la Mitrailleuse lourde de Chars M4...le Chef Maisondieu avait été gravement touché à la fémorale par l'éclat d'une rupture d'étui...et c'est le Maréchal des Logis Sallé, le plus proche, qui lui avait apporté les premiers secours !

A M'Sila, par radio, le Lieutenant-colonel du Chêné (Soleil) interroge sur la gravité des blessures. Il demande aussitôt une EVASAN (Evacuation Sanitaire) d'urgence. Le Médecin, avec la sanitaire, part rapidement précédé d'une escorte du Peloton de Pionniers qui connaît la route et ses pièges. A quelques kms, rencontre des véhicules. Le Lieutenant-Médecin s'affaire et fait mettre le blessé sur un brancard-couchette de la sanitaire...piqures...perfusion, pansements, et peu à peu le Grand Chiroux perd conscience, la morphine faisant effet.

Le chef des Pionniers a son S.C.R.300, aussi le P.C. lui ordonne de guider l'hélicoptère venu d'Aïn Arnat (Base de l'Aviation Légère de l'Armée de Terre.) qui est déjà à hauteur des Maadid, près du barrage du Ksob. Dès qu'il est en vue, un fumigène balise la D.Z. d’un espace dégagé où une Alouette II à la croix rouge vient se poser face à la fumée...En descend un autre toubib, et Chiroux étiqueté, ficelé, enveloppé, est mis dans la coquille. L'hélico décolle sans attendre et file vers le nord-est. Il se posera vingt minutes plus tard à l'hôpital de Sétif.

La suite?...A Sétif, la jambe gauche est amputée à un tiers. On essaie de sauver la droite, le pied surtout, tout en réduisant la fracture du doigt.

Le 19 décembre 1958, René est à l'Hôpital des Armées Dominique Larrey de Versailles. Il est ensuite transporté à Lille le 2 janvier 1959. La gangrène touche la jambe droite qui est amputée du tiers...comme l' autre. Cette année là, il est nommé Maréchal des Logis Chef.

Il sort des hôpitaux en Mai 1961, deux ans et demi après le saut sur mine. Réformé des cadres de l'Armée en Juin 1962 pour infirmité grave et incurable, il est pensionné à 100% + 15.

Le 14 Juillet 1959, la Médaille Militaire, la plus belle, lui est épinglée lors d'une prise d'Armes à Lille. Il est fait Chevalier de la Légion d'honneur en 1965 et il aura le Grade d'Officier du même ordre en 1983.

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                                                                                               Collection R. Chiroux

Et cette jeune fille devenue sa fiancée ?..Tout soldat, surtout un d'Afrique, n'a que deux véritables amours...sa femme et...sa maîtresse... l'Armée. René a fait sa demande en mariage, car, comme le règlement l'impose, il y a aussi la demande officielle que délivre, après de multiples enquêtes, le Général commandant la Région, en l'occurrence pour Meknès, le Général Miquel. La réponse n'est toujours pas parvenue lors du départ pour l'Algérie. La petite fiancée attend à Meknès et, puisque nous sommes en Algérie dans un département français, la loi change. René réitère sa demande qui est enfin acceptée...et valable pour six mois (jusqu'au 24 mai 1959). Seulement l'autorisation n'arrive qu'après ses graves blessures, et entre deux opérations, un cas de conscience lui est posé...pour lui, un infirme, et on vient de l'amputer à nouveau de la jambe droite, ne peut amener une vie normale à une femme...aussi, par honnêteté et prenant sur lui, la mort dans l'âme, il désire rompre et l'écrit à Meknès. Il est toujours à l'hôpital de Lille, d'où il sortira en avril 1961. Quand il va mieux, il obtient parfois de courtes permissions qu'il passe chez son père.

Mais une fiancée comme la sienne s'est promise pour toujours...elle l'écrit à René et aussi au Médecin-chef de l'hôpital qui aura vite fait comprendre à son grand blessé que sa décision hâtive va faire deux malheureux...aussi Chiroux reprend contact avec sa fiancée qui, tenace, énergique, aimante, viendra à Lille, sera hébergée par le père de René. Elle fera tout pour ce mariage, écrira même au Procureur de la République.

Enfin, le samedi 23 mai 1959, le Maire se déplace, par mesure exceptionnelle, au domicile des Chiroux et concrétise le mariage...l'autorisation militaire arrivant à expiration le lendemain ! brave petite mariée qui se rend chaque jour ou presque à l'hôpital quand René  n'a pas de permission, et pour encore presque une année.

En août 1960, un garçon puis une fille 4 ans après, apportent plus de bonheur au foyer où René à fait sa véritable vie sans oublier ses proches amis du 12ème de Chasseurs d'Afrique. Ses deux enfants lui donnent quatre beaux petits enfants, et ce sont eux qui sont ses plus belles décorations.

Hélas, une inévitable fatalité vient à nouveau le frapper au mois de mai 1987. Renversée par une voiture, son épouse décède dès l'intant. Blessé lors de cet accident, René sera soigné pour une fracture du fémur gauche et pour l'ablation de la tête de l'humérus droit...Encore six mois d'hospitalisation ! Mais un Chasseur d'Afrique, surtout pour ses enfants et avec courage, tient bon face à l'adversité. Cette dernière, a dit quelqu'un, contient toujours les ferments d'une nouvelle chance. En novembre 1989, il fait la connaissance d'une veuve et celà fait 23 ans qu'ensemble, donc plus forts, tout va pour le mieux.

En ce 10 novembre 2011, le Chef Chiroux réside à Agde ...toujours aussi dynamique et le coeur sur la main.

Officiers, Sous-officiers, Brigadiers et Chasseurs d'AUDACE N'EST PAS DERAISON ...vous qui l'avez bien connu durant ses quatre années au 12ème ...si vous passez à proximité, allez voir ce brave "Bison" et sa compagne, ils vous recevront… comme seuls, des Chasseurs d'Afrique savent recevoir.

Ses Amis de la Rédaction du blog.

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                                                                                                                             Collection R. Chiroux

 

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12_RCA_Giacobini_petit Quelques souvenirs du 12ème R.C.A. à Meknès.                                                                                                                                          Par le MDL Yvan Giacobini

 

Lors du Peloton d'élèves gradés, nous étions à El Hajeb au Maroc, pour une instruction de tirs au canon de 76,2, j'étais élève de jour. Une fois les exercices terminés, ordre fut donné au peloton de nettoyer le site. Nous étions donc tous disséminés sur le terrain quand le S/Lieutenant CODET, le commandant du Peloton, fit savoir au MDL/Chef GIACOBINI (mon frère aîné surnommé Jako) que l'heure du rassemblement était arrivée. Le Chef m'ordonna donc d'exécuter cet ordre. Je le fis d'une voix qui me paraissait bien forte. Mes "confrères", réagissant bien mollement, provoquèrent la fureur du MDL/Chef. Je réitérai mon appel et, une fois le peloton rassemblé, je le présentai au Chef. Celui-ci, toujours coléreux, indiqua un arbre situé à environ 500 mètres et ordonna au peloton de s'y rendre au pas de course afin, dit-il, d'apprendre à obéir immédiatement à un ordre. Légèrement en retrait par rapport au Chef, je vis partir le peloton avec un sentiment de satisfaction qui devait apparaître sur mon visage. Le peloton se trouvait déjà à une vingtaine de mètres quand le Chef se retourna et m'ordonna de suivre mes camarades afin, ajouta-t-il, d'apprendre à me faire respecter. Il va sans dire que lorsque le peloton, après avoir atteint l'arbre, entama son retour, les quolibets fusèrent de part et d'autre au moment du croisement. C'était de bonne guerre. Nous étions jeunes et avions le moral.

 

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12_RCA_Philippe_SCHNEIDER_petit   Ma visite au 12ème R.C.A. en 1959.

Par le Chef d'escadron d'artillerie (H) Philippe SCHNEIDER, Prêtre. Officier de la Légion d'honneur, Mérite Militaire, Chevalier de l'Ordre National du Mérite, Officier des Palmes Académiques. Breveté 2ème degré.

 

Le général de GAULLE voulant renseigner les Français sur l'Afrique du nord, a eu l'idée de rappeler des officiers et sous-officiers de réserve pour se rendre sur le terrain, étudier la situation, et au retour, animer des rencontres exposant la situation. En ce qui concerne le Constantinois, au moins dix départements furent impliqués.

En Creuse, comme capitaine, le lieutenant BEER-DEMANDER des mines de Montbas, le lieutenant de réserve GSCHWING de Champsanglard furent mes adjoints. Embarqués à Marseille sur le "Maréchal Joffre", le 24 octobre 1959, nous débarquions à Bône. Une rapide escapade à Hippone au tombeau de Saint Augustin. Retour à Bône en Nord 2501, nous rejoignions Sétif sur l'aérodrome "de Lattre de Tassigny". Installés à M'Sila chez Monsieur le Sous-préfet WEBER, la mission commença véritablement. Il n'était pas question d'intervenir sur le plan des opérations antérieures, présentes ou futures, la hiérarchie en était chargée, connaissait les forces en présence... Notre mission était ailleurs. Sur le plan scolaire, grâce aux instituteurs du contingent; locaux, matériel scolaire et surtout enseignement, étaient donnés aux enfants et adolescents. Les résultats étaient encourageants. Sur le plan agricole, des anciens de l'agro, des cultivateurs, des fermiers, apportaient des conseils efficaces, se penchaient sur les problèmes d'irrigation, organisaient des conserveries. Sur le plan sanitaire, aides-soignants, infirmiers, médecins-auxiliaires accomplissaient des prodiges. La route du pétrole et du gaz étaient en bonne voie. Nous circulions à pied, en half-track, en avion de reconnaissance, en hélicoptère, découvrions des sites remarquables comme les gorges de Kerrata (un timbre sera édité), un lieu de massacre au milieu des ossements à Mechta-Kasba (Combats entre le FLN et le MNA). Visite de la base d'Aïn Arnat, la route vers BBA, les gorges du Chabet, les stations de pompage. Le peloton de l'Alat, le Hammam, le quartier de Dréat, les moutons avec le Capitaine CLAVIE; Bougie, Djidjelli, Constantine.

Nous avons très vite répondu à l'amitié du 12ème Chasseurs. Comme prêtre, il me fut demandé de célébrer la messe de la Toussaint, le 1er novembre 1959, dans la citadelle de Sétif. Le lendemain, baignade agréable face aux cigogneaux.

 

               12_RCA_Philippe_SCHNEIDER_1              12_RCA_Philippe_SCHNEIDER_2

 

Depuis tant d'années, membres des anciens, rencontres, correspondance, téléphone malgré les disparitions pour raison de santé, le 12ème Régiment de Chasseurs d'Afrique reste une grande famille. Daniel DUMET en est un des maillons actifs, rencontrant jusqu'à son décès le Colonel PEREGO.

 

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6 novembre 2011

Comment je suis arrivé en Angleterre via

12_RCA_Capitaine_VERBRUGGEN_copie_22  Comment je suis arrivé en Angleterre via l'Espagne et le 12ème Chasseurs d'Afrique.                                                                                     Par le Capitaine Jean VERBRUGGEN, ancien Président des anciens de la 2ème D.B. de Haute-Marne.    

                              

Comme beaucoup de jeunes de mon âge, je supportais mal toutes les contraintes que les allemands nous faisaient subir. Je parlais souvent autour de moi de mon envie de partir et d'essayer de rejoindre l'Angleterre et, un jour, un ingénieur des mines, Jean DELBENDE, me dit que si je voulais, il pouvait me donner l'adresse d'un petit café à Liévin où je pourrais me procurer de faux papiers, la filière à suivre pour passer la ligne de démarcation et tous les renseignements nécessaires pour passer en Espagne. L'Espagne étant la passage obligé pour l'Angleterre. J'ai parlé de mon projet à mon père qui l'a approuvé et prévenu ma mère. Je suis dons parti de chez moi le 21 février 1941 à midi. Je suis passé voir un camarade qui était au courant de mon projet: Je voulais lui dire au revoir car il était au dernier stade de tuberculose et je savais que je ne le reverrais pas.

Ensuite, à pied, en passant par harnes et Lens, je suis allé au petit café indiqué à Liévin: après m'être annoncé par un mot de passe convenu- je crois me souvenir qu'il fallait commander une boisson spéciale- je suis conduit dans la cuisine et longuement questionné: nom, prénom, filiation, motivations etc...Pendant qu'ils confectionnaient les papiers, j'ai dormi par terre enroulé dans une couverture: Je me souviens qu'ils étaient trois. Ont-ils été arrêtés par la suite ?... J'ai essayé de les retrouver plus tard en vain, le café n'existait même plus...

Muni des faux papiers fabriqués par ce réseau, j'ai pris le train en direction de Paris le 22 février 1941 à 6heures 30. Avant le passage en zone interdite, j'ai quitté le train, enfilé des vêtements d'employés de ce qui ne s'appelait pas encore la SNCF et, muni d'une masse à long manche, je frappais régulièrement tout le long des rails pour de soi-disant vérifications. J'ai croisé une sentinelle allemande sur un pont. On s'est salué et j'avoue que je n'en menais pas large...Ce manège a duré une quinzaine de km et je suis arrivé dans une gare où on m'a rendu mes vêtements (je suis en zone occupée). Il y avait à l'époque deux zones occupées par les allemands-Au nord d'Amiens la zone interdite-, puis une autre zone dire "occupée" qui passait par Biarritz, Loches, Moulins et Dôle.

Après m'être changé, j'ai repris le train pour Paris où j'ai couché. J'avais bien besoin de repos après cette journée très éprouvante nerveusement et physiquement. Le matin du 23, toujours en train, j'ai pris la direction de Tours où je suis arrivé le soir même à 22 heures15. Dans le train, j'avais subi deux contrôles d'identité... J'ai passé la nuit caché dans un wagon et, le lendemain matin, vers 8 heures 30, j'ai retrouvé des hommes du réseau et un camarade qui avait quitté Lens avec moi et de qui je m'étais séparé pour des raisons de sécurité. C'est d'ailleurs lui qui m'a présenté aux passeurs. Cachés dans une camionnette remplie de pommes de terre, nous avons laissé Tours en direction de Cormery où nous avons passé la journée dissimulés dans une grange...Nous avons passé la ligne de démarcation dans la nuit du 24 au 25. Il me restait en poche 200F de l'époque!!! Le passeur se faisait payer 100 F, ce qui me paraissait exorbitant et même à la limite de l'escroquerie...mais, avec le recul et comme dirait ma femme, rapport qualité-prix ce n'était pas exagéré, puisque logés, nourris et surtout la promenade nocturne avec tous les risques courus. Tout le trajet a été effectué dans les labours et, je m'en souviens encore, sous une pluie battante. Mais, c'était quand même un temps favorable pour nous car les allemands ne s'aventuraient pas dans ces terrains par ce temps. Au lever du jour, nous étions à Loches en zone libre, reçus par la garde mobile qui nous a réconfortés. Petit déjeuner, possibilités de toilette et de faire sécher nos vêtements... mais ensuite, interrogatoire serré car ils voulaient tout savoir sur la zone occupée. Une journée de repos et nous avons repris la route en direction de Châteauroux selon les directives reçues, puis Toulouse et Port Vendres. Une partie du trajet à pied et soit, tramway dans les villes, soit train de marchandises, les voitures étaient rares. Heureusement, nous étions jeunes, l'espoir de rejoindre l'Angleterre nous donnait un moral d'acier et les km à pied ne nous faisaient pas peur. Grosse déception à Port-Vendres car le passeur venait d'être arrêté par la police française. C'est sa femme qui nous a reçu et nous a donné tous les renseignements qu'il nous fallait pour passer en Espagne, mais il fallait beaucoup de chance, et Dieu merci, je n'en manquais pas !!!

Passage de la frontière dans la nuit du 6 au 7 mars. Pour nous deux, c'était vraiment une grande aventure qui commençait..jusqu'à présent, c'était relativement facile dans la mesure où nous pouvions nous expliquer, mais à l'étranger, sans parler la langue, avec uniquement les conseils qu'on nous avait donnés en France, on se sentait seuls. Les conseils s'était: 1/ s'éloigner des cotes qui étaient très surveillées. 2/ Dans la montagne, faire le moins de bruit possible. 3/ Eviter les cabanes de bergers. 4/ Prendre le temps de s'arrêter pour écouter et surveiller l'environnement. Nous avons suivi la frontière pendant une dizaine de km et découvert la cabane de berger qui nous avait été indiquée et qui se trouvait à mi-hauteur. Pour nous, gens du plat pays, il fallait grimper et, de nuit, en évitant soigneusement les sentiers, ce n'était pas facile. On s'arrêtait de temps en temps pour se désaltérer dans des ruisseaux. Enfin, nous descendons vers l'Espagne, le but étant de rejoindre Figueras où j'espérais au moins trouver une carte, parce que sans cartes et sans pesetas, c'était presque impossible. Mais, catastrophe!!! Nous promener de jour était une erreur et on se fait arrêter par un paysan qui nous avait repéré (Ils touchaient des primes quand ils faisaient des arrestations de suspects). Il nous enferme dans sa grange. Mon copain propose de lui casser la figure et de nous enfuir. Heureusement, je l'en empêche et lui propose de nous évader pendant la nuit. On entend une violente dispute dans une pièce voisine, je comprends le mot "communistes". Finalement, la femme vient nous libérer, elle parle notre langue et nous indique un sentier pour éviter d'autres surprises. Avant de partir, je la remercie et lui certifie que nous ne sommes pas des communistes.

On arrive enfin à Figueras. Il fait nuit, je conseille à mon copain de se cacher, et moi, je fonce vers la gare pour y compulser un bottin. J'y trouve une carte de réseau de chemin de fer et là, ma décision est prise: Voyager de nuit en suivant les rails. Je retrouve mon camarade et d'un commun accord, nous quittons la ville. Nous marchons encore quelques heures avant d'aller nous reposer dans les champs. Nous n'avons pas de lampe électrique et suivre les rails n'est pas simple...Il y a beaucoup de tunnels, il nous faut éviter d'être pris dans les phares des locomotives, se coucher le long des murs en se faisant tout petit, sauter sur les bas cotés, dans les fossés. Quand on arrive près d'une gare, la contourner et ensuite retrouver la bonne voie. Quand le jour arrive, il nous faut à nouveau trouver un coin pour nous cacher et aussi se reposer des fatigues de la nuit. Là, je connais vraiment la faim. Nous mangeons de l'herbe, des choux fleurs, des poireaux, des carottes crus sans les laver. Bien entendu...On se disait: encore un effort, on arrive...Barcelone, ça ne doit plus être très loin. On marchait 8 à 10 heures par jour à une cadence assez rapide et je contrôlais notre progression en cochant sur notre petite carte le nom des gares que l'on contournait car elle n'avait pas d'échelle et elle était en mauvais état. Enfin, un matin, je crois que c'était le 8 ou le 9, nous voyons "Barcelona" sur un mur à ? km, je ne me souviens plus mais plus très loin.

On s'est nettoyé un peu et on est entré dans Barcelone. Sur un tramway qui passait, on a lu "Plaza de Catalona" et on savait que le Consulat était sur cette place. Pressés et sans trop réfléchir, puisqu'on n'avait pas d'argent, on a pris le tramway suivant et on est arrivé sur cette fameuse place. C'était bien là et on a vu sur un bâtiment flotter le drapeau britannique. Deux soldats anglais montaient la garde devant. On s'est assis sur un banc pour repérer un peu les lieux et on a vu que deux carabiniers faisaient les cent pas... On n'avait pas d'autre moyen que de piquer un cent mètres pour essayer de franchir la porte. Nous avons choisi notre moment et nous sommes arrivés devant la porte dans le dos des policiers. Les deux anglais nous ont stoppé à l'entrée avec des fusils munis de baïonnettes et conduits au poste. Nous sommes le 11 mars à midi. Après diverses formalités, nous sommes admis au Consulat. Je vais loger quelques jours chez le chauffeur, on me donne des vêtements et des sous-vêtements neufs, on nettoie les miens et on me retape un peu. Le 14, je retrouve mon copain. Le Consul nous remet de l'argent, un billet de chemin de fer pour Madrid et des indications précises sur le taxi qui devait nous conduire de la gare de Madrid à l'Ambassade. Dans la matinée, le chauffeur que je connais maintenant, nous remet des vivres de route et nous conduit à la gare de Barcelone. Cette fois, on a le moral !!! On s'installe dans le train près d'une fenêtre pour surveiller un peu. Le train est bondé et on observe sans dire un mot et pour cause...

Entre Saragosse et Madrid, le train stoppe en pleine campagne et on voit un carabinier posté devant chaque compartiment. Nous sommes arrêtés, menottés, et gardés à vue par deux policiers en civil. Arrivés à Madrid, on nous sépare et je suis enfermé dans les dépôts de la gare et, je n'exagère pas, dans une cage gardée par un maure muni d'un cimeterre. Je n'en menais vraiment pas large. Dans la soirée, on m'emmène dans les sous-sols de la Puerta del Sol. Je ne soupçonnais pas encore à cette époque ce qui se passait dans ces caves. Un triste décor, un rond-point au centre avec le bureau des gardiens et derrière d'énormes grilles, d'un coté des femmes, de l'autre les hommes. Pour mater les prisonniers, les gardiens se servent d'un fouet qu'ils savent très bien manier. Chez les hommes, un long couloir, des cellules d'un seul coté, très basses de plafond, deux mètres environ. Les ampoules nous arrivent à la hauteur des yeux. Pour nourriture, deux soupes par jour, midi et soir. Pas de petit déjeuner, la moitié d'une tartine de pain dans la journée. Il vaut mieux ne pas se précipiter pour la nourriture, le service d'ordre est efficace et le fouet fonctionne bien. J'ai quand même la satisfaction de rencontrer des prisonniers de tous bords, des politiques, des français, des belges, dont un médecin qui va nous ausculter tous les jours, des luxembourgeois, des polonais. Le 22 mars, la police nous ramène à Barcelone. Nous recevons une visite discrète du Consul qui passe devant les cages, observe mais ne dit rien. On apprend qu'on va être rapatrié en France vers deux directions, l'une vers Biarritz, l'autre vers Port Bou, d'un coté vers les allemands, de l'autre la police française de PETAIN. Par chance pour moi, ce sera Port Bou où je serai remis aux mains de la gendarmerie française. Les gendarmes ne nous ménagent pas. Ils échangent nos menottes espagnoles pour des menottes françaises, nous bousculent, nous font monter sans ménagement dans une camionnette et le trajet s'effectue sans un mot. Dans la cour de la gendarmerie de Cerbere qui ressemble à une petite forteresse, un responsable nous demande de nous conduire calmement, nous dit qu'il nous comprend...Nous lui disons que nous sommes d'accord et nous avons droit à une cellule chacun, la porte restant ouverte. on nous propose une douche, nos vêtements sont récupérés et on nous donne un pyjama. Le soir, je vais dîner à la table d'un gendarme et nos vêtements seront nettoyés et repassés par des femmes de gendarmes. Nous resterons là cinq ou six jours et nous serons conduits à la maison d'arrêt de Perpignan pour y être jugés et condamnés à un mois de prison ferme et 1000F d'amende. En prison, je suis séparé de mon camarade et je vais y passer trois semaines en salle commune. Il y avait là un caïd qui m'a demandé pourquoi je me trouvais en prison. Je lui ai expliqué et il m'a un peu protégé, me disant qu'il avait un fils de mon âge. Tous les jours à midi, il recevait de l'extérieur un plateau repas très copieux qu'il partageait avec moi. Pour dormir, c'était à même le sol avec une seule couverture. Les jours passaient et un matin, je suis convoqué chez le directeur de la prison qui m'annonce que je serai bientôt libéré et il me fait une sorte de chantage: ou un engagement dans l'armée ou le camp d'Argelès...je choisis le camp. De retour dans la salle commune, mon "protecteur" me demande la raison de mon choix et trouve que j'ai agi comme un gamin et que j'aurais mieux fait de prendre l'armée, que j'aurais pu y reprendre des forces et ensuite, de tenter un passage en Espagne !!! C'est lui qui appelle les gardiens pour dire que je veux voir le directeur...et je signe un engagement de trois ans dans la cavalerie, au 12ème Cuirassiers d'Orange.

Le 24 avril 1941, à ma sortie de prison, je suis envoyé dans une villa dans la périphérie de Perpignan "La Roseraie". Je suis couvert de poux et quand je retire mon pantalon, je les vois grouiller. J'ai du subir un nettoyage et une désinfection en règle. Le 6 mai, les gendarmes sont venus me chercher pour me conduire à Orange. Trajet en chemin de fer avec les menottes. quand j'arrive au régiment, le lieutenant des effectifs m'accueille par : "Encore un déserteur ?". Je lui réponds : "Non, puisque je n'ai jamais été soldat!" Il a alors "engueulé" les gendarmes, il n'y a pas d'autre terme, de façon magistrale, pour avoir osé conduire menotté un homme qui avait purgé sa peine. Je me retrouve d'abord dans un escadron cycliste, puis je suis un stage de radio. En février 1942, j'apprends qu'on demande des volontaires pour l'A.O.F. Le lieutenant des effectifs me fait appeler pour me conseiller de faire la demande, ce que je fais. Ma demande sera déchirée par un capitaine qui me soupçonnait d'avoir des idées derrière la tête..mais je recommencerai. Comment j'ai été désigné ??? je n'en sais rien, mais je quitterai Orange pour Dakar le 9 avril 1942.

A Dakar, je suis affecté au 12ème R.C.A. à Thiès. Le 30 avril 1942, le lieutenant GRIBIUS qui avait lu mon dossier, me refuse sous le prétexte que je serai un élément perturbateur. Présenté au Commandant de LANGLADE qui commande l'unité, il obligera GRIBIUS à m'accepter et, en tête à tête, me certifie qu'on va bientôt en découdre avec les boches. Il a participé en tant que volontaire à la grande guerre et s'en souvient...Les jours passent à faire de l'instruction avec les 23 derniers SOMUA de l'armée française. Le 12 janvier 1943, l'escadron chars est désigné pour aller se battre en Tunisie. je ne suis pas sur l'effectif des partants et je me débrouille pour me trouver sur le passage de LANGLADE et lui faire part de ma déconvenue. Grâce à lui, je pourrai partir.

En Tunisie, je suis gâté, agent de liaison moto, je peux me déplacer derrière les chars sur des pistes parfois minées. J'ai oublié de dire qu'on touchait au départ une partie de prime d'engagement que le trésorier m'a confisqué pour...payer l'amende qui m'avait été infligée par le tribunal. La campagne de Tunisie est terminée et je participe au défilé de la victoire à Tunis.

L'escadron fera mouvement vers l'Algérie, à Rio Salado en Oranie. Le 11 septembre 1943, le Colonel de LANGLADE rassemble son régiment sur la place de Rio Salado ( 7 escadrons et son EHR). On insiste beaucoup sur la présentation car on attend la visite d'un général et on pressent un évènement important. On saura plus tard que ce général était LECLERC. Il vient nous voir, nous fait un discours sur l'importance de la cohésion de l'armée, qu'il va former une division et que tous ceux qui désire le suivre fassent un pas en avant. On le fait et ça va nous mener bien plus loin qu'on ne le soupçonnait.

Témara le 1er octobre 1943, une division de plus de 16000 hommes dans une forêt de chênes-lièges où nous campons sous la tente. Nous quittons Témara le 9 avril 1944 pour embarquer le lendemain, jour de Pâques. Cette fois, nous voguons vers l'Angleterre. Nous débarquons à Swansea le 22 avril, après 12 jours de très mauvaise mer. Nous étions sur des L.S.T., bateaux porte-chars à fond plat et aussi loin que nous pouvions voir, des bateaux et encore des bateaux, une véritable armada. Un spectacle extraordinaire dont j'ai bien profité, mais pas tout le monde car la majorité était malade. On a eu droit aux grenades sous-marines, mais puisque je suis là, tout s'est bien passé. On arrive et on débarque les chars, malheureusement, il n'y a que les valides qui peuvent le faire, mais là, au 3ème char, j'ai droit au mal de terre. Mais je peux me dire : "Mon gars, ça y est, tu y es arrivé...".

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